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Le nucléaire, une solution moins démesurée qu’on ne le pense

source : World Nuclear Industry Status Report 2024 (worldnuclearreport.org)

 

Dans un monde en constante évolution, où les préoccupations climatiques façonnent chaque décision politique et industrielle, le nucléaire demeure un acteur singulier. Il intrigue, il divise, il rassure certains tout en effrayant d’autres. Mais une question persiste : que représente réellement cette énergie dans l’avenir énergétique mondial, à l’ère où le renouvelable semble conquérir tous les cœurs ? Pour y répondre, le World Nuclear Industry Status Report 2024 propose une plongée éclairante dans les faits, les chiffres, et surtout, les réalités parfois occultées par les idéaux.

 

Vieillissement et stagnation : Une industrie à bout de souffle ?

Regardons d’abord un chiffre : 31 ans, c’est l’âge moyen des réacteurs nucléaires dans le monde en 2024. Cette donnée, à elle seule, évoque déjà la lourdeur du fardeau que porte cette technologie. À l’image d’un géant vieillissant, le parc nucléaire global semble peiner à maintenir sa vigueur d’antan. Aux États-Unis, par exemple, la majorité des réacteurs dépassent désormais 42 ans de service, un âge qui soulève des questions de sécurité, d’entretien, mais aussi de rentabilité. Et alors que le monde entier accélère ses efforts pour moderniser ses infrastructures, le nucléaire paraît, paradoxalement, pris au piège de sa propre longévité.

 

Construire de nouveaux réacteurs est-il une solution ? Peut-être, mais à quel prix ? Le projet Vogtle-4, aux États-Unis, nous rappelle amèrement la dure réalité : après 11 années de construction et des coûts explosant de 14 milliards à 34 milliards de dollars, ce réacteur n’a été connecté au réseau qu’en mars 2024. Si ces chiffres ne manquent pas de sidérer, ils révèlent également une vérité brutale : la technologie nucléaire, aussi stable qu’elle soit, est coûteuse, non seulement en termes financiers, mais aussi en temps.

 

Mais là où certains voient une industrie en déclin, d’autres aperçoivent un phare dans la nuit. Car malgré ce vieillissement, le nucléaire reste un pilier indéfectible de la production énergétique mondiale, offrant une énergie constante, jour après jour, indépendamment des caprices du climat. Peut-on vraiment ignorer cette stabilité dans un monde où le solaire et l’éolien peinent encore à garantir une production continue ?

 

La dépendance géopolitique : Un acteur incontournable sur l’échiquier mondial

Derrière les chiffres techniques, une autre dimension se cache, plus insidieuse, mais tout aussi puissante : la géopolitique. Le rapport met en lumière une réalité souvent éclipsée par les débats climatiques : le rôle prépondérant de la Russie dans l’industrie nucléaire mondiale. Alors que les sanctions économiques frappent Moscou suite au conflit en Ukraine, la Russie reste un acteur majeur dans la construction de nouveaux réacteurs à travers le globe. Sur les 35 réacteurs en construction entre 2019 et 2024, 13 ont été construits sous la houlette d’entreprises russes. Ce chiffre évoque une image troublante, celle d’une Europe qui, malgré des efforts pour diversifier ses sources énergétiques, reste encore aujourd’hui dépendante de la Russie pour près de 25 % de son combustible nucléaire.

 

Est-ce un paradoxe ? Sans doute. Comment une Europe si prompt à se tourner vers les énergies renouvelables peut-elle encore se reposer sur une nation souvent perçue comme un adversaire géopolitique ? Une question qui mérite d’être posée, même si les réponses ne sont pas toujours aussi simples qu’on le souhaiterait. Car, comme souvent, la transition énergétique n’est pas qu’une question de technologie, c’est aussi un jeu complexe d’alliances et de dépendances.

 

Le défi du coût : Une technologie durable mais à quel prix ?

L’un des points les plus frappants du rapport reste sans doute le fossé grandissant entre le coût de l’énergie nucléaire et celui des renouvelables. En 2023, le coût moyen de l’électricité solaire se situe autour de 40 USD/MWh, celui de l’éolien terrestre à 50 USD/MWh, tandis que le nucléaire, avec ses nouveaux projets, plafonne à 120 USD/MWh.

 

Le contraste est flagrant. Mais, ici encore, la question mérite réflexion. Si les énergies renouvelables s’implantent rapidement, elles apportent aussi leur lot de défis : la variabilité, la dépendance aux conditions climatiques, et le besoin impérieux de renforcer les infrastructures pour stocker l’énergie lorsqu’elle est produite en excès. La modernisation des réseaux électriques pour accueillir les ERV (énergies renouvelables variables) nécessitera des investissements colossaux, estimés à 800 milliards de dollars par an d’ici 2030. Le nucléaire, bien qu’onéreux à l’installation, offre une énergie pilotable et continue, un atout que le solaire et l’éolien ne peuvent offrir seuls.

 

Un avenir incertain mais indispensable ?

Si l’on ajoute à cela les défis posés par le démantèlement des réacteurs en fin de vie, les critiques s’accumulent. Depuis 1954, 33 réacteurs ont été fermés définitivement, et le coût de leur démantèlement oscille entre 500 millions et 1 milliard de dollars par réacteur. Et que faire des centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs encore sans solution de stockage définitive ?

 

Mais malgré ces ombres au tableau, il serait injuste de clore le débat en condamnant l’énergie nucléaire. Car au-delà des chiffres et des coûts, il existe une réalité que l’on ne peut ignorer : le monde a besoin d’une source d’énergie stable. Une énergie capable de pallier les défaillances des renouvelables, de maintenir un réseau électrique équilibré même lorsque le vent ne souffle pas et que le soleil est caché dans l’ombre de notre propre vaisseau stellaire.

 

Conclusion : Le nucléaire, un mal nécessaire ou une solution durable ?

Alors, le nucléaire est-il l’énergie du passé ou l’avenir de la stabilité énergétique ? Peut-être ni l’un ni l’autre. Peut-être est-il simplement l’un des éléments indispensables à cette transition que nous devons orchestrer avec soin. Loin des rêves utopiques d’une énergie 100 % renouvelable et sans faille, le nucléaire, tout comme le biogaz, apporte cette continuité nécessaire. Ces énergies, qu’on pourrait presque qualifier de modestes face à l’expansion rapide du solaire et de l’éolien, sont pourtant les garants d’un équilibre que les ERV ne peuvent encore promettre.

 

La véritable question, au final, n’est pas de savoir si nous devons ou non adopter ces technologies, mais plutôt de comprendre comment elles peuvent se compléter, comment elles peuvent coexister dans un mix énergétique qui, pour être efficace, doit à la fois être innovant et pragmatique. Peut-on imaginer une transition énergétique sans une réflexion plus profonde sur la complémentarité entre ces énergies pilotables et intermittentes ? Rien n’est moins sûr.