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2024_09_Fiscalité_climatique

La fiscalité de l’énergie : un levier mal maîtrisé au cœur des enjeux climatiques

source : Observations définitives La place de la fiscalité dans la politique énergétique et climatique française (ccomptes.fr)

 

Dans l’univers complexe et dynamique de la politique énergétique française, la fiscalité occupe une place aussi ambiguë que controversée. Entre stratégie fiscale et impératifs climatiques, elle apparaît parfois comme un acteur secondaire, alors qu’elle influence directement nos modes de consommation et, en fin de compte, notre avenir collectif. Cette analyse, menée sur la période de 2012 à 2022, nous invite à réfléchir sur les écueils d’une fiscalité qui, loin de faire consensus, s’immisce discrètement dans la vie des citoyens, modelant leur quotidien tout en échappant à une véritable cohérence stratégique.

 

On pourrait croire, en observant les chiffres, que la fiscalité énergétique en France est avant tout une machine à rendement. En 2021, elle générait près de 60 milliards d’euros, soutenue principalement par les accises et les taxes sur les produits pétroliers. Pourtant, cette fiscalité n’est pas seulement un mécanisme froid et distant : elle affecte profondément les ménages, qui, eux, en subissent les conséquences. Un ménage français dépensait en moyenne 3 140 euros en énergie en 2021, dont 43 % provenaient des taxes pour le logement, et une part écrasante de 140 % pour les transports. Ces chiffres illustrent combien les taxes pèsent lourdement, exacerbant une crise d’acceptabilité déjà vive.

 

Car au-delà des simples euros versés, il y a une douleur ressentie, une injustice perçue, un déséquilibre qui se creuse entre ceux qui peuvent absorber les coûts et ceux pour qui ces taxes deviennent un fardeau insupportable. C’est là toute la question de l’acceptabilité : comment justifier auprès des citoyens une politique qui semble les priver de liberté de choix, qui renforce les inégalités sociales, et qui, de surcroît, ne garantit pas toujours des résultats probants en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

 

Certains diront qu’il faut ajuster le tir, que la fiscalité de l’énergie doit servir un objectif plus grand, celui de la transition écologique. Mais là encore, le cadre reste flou. Aucune définition claire ne semble guider cette politique fiscale. Il est alarmant de constater que la fiscalité énergétique, représentant une part substantielle du budget de l’État, n’est pas pleinement intégrée aux stratégies climatiques françaises. Ce manque de coordination a fragilisé notre capacité à réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre, comme en témoigne le gel de la composante carbone en 2018, en réponse aux crises sociales.

 

L’histoire montre que ce gel n’est pas un simple ajustement technique. Il reflète une tension profonde entre la nécessité de protéger l’environnement et celle de maintenir un équilibre social. L’on parle de « double dividende », cette idée selon laquelle une taxe énergétique pourrait à la fois encourager les comportements vertueux tout en générant des ressources pour alléger les charges sur le travail. Cependant, cet idéal est resté largement théorique, l’efficacité réelle de cette politique restant à prouver. Le discours, lui, a évolué. Après 2018, les décideurs ont insisté sur la transparence dans l’utilisation des recettes fiscales pour gagner en acceptabilité. Pourtant, cette démarche semble avoir eu peu d’impact sur la perception publique.

 

Il serait tentant de penser que la solution réside dans une refonte complète de la fiscalité, dans l’adoption de modèles étrangers où la gouvernance des réformes énergétiques est prise en main par des organismes indépendants, comme en Suède ou au Royaume-Uni. Cependant, en France, la prise de décision est centralisée, encore et toujours, autour du ministère de l’Économie et des Finances, ce qui freine les innovations stratégiques. Le ministère de la Transition écologique, malgré ses efforts, peine à s’imposer.

 

Au fond, la fiscalité énergétique française souffre d’une contradiction interne : elle prétend encourager des comportements responsables, mais continue à subventionner massivement les énergies fossiles à travers des dispositifs fiscaux qui n’ont jamais été remis en cause. Comment, dans ces conditions, espérer atteindre les objectifs climatiques de 2050 ?

 

Nous sommes à un tournant. Trois scénarios sont envisagés pour l’avenir de la fiscalité énergétique. Le premier consisterait en un simple ajustement des dispositifs existants pour répondre aux exigences européennes, sans bouleverser l’équilibre actuel. Le second viserait à renforcer l’incitation climatique, en alignant la fiscalité sur le contenu carbone des énergies. Enfin, le troisième scénario, radical, proposerait de dissocier fiscalité et tarification du carbone, en affectant exclusivement les recettes à la transition écologique.

 

Dans tous les cas, l’urgence est là. Les bouleversements énergétiques récents, couplés aux nouvelles régulations européennes, nous poussent à repenser en profondeur notre approche. La fiscalité de l’énergie ne peut plus être cet instrument désarticulé, opaque et inégalitaire. Elle doit devenir un levier central, transparent, et juste, au service d’une politique énergétique et climatique ambitieuse.