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Comprendre la comptabilité Carbone : enjeux et implications pour l’économie et le climat

source : 8 – La comptabilité carbone – Cours des Mines 2019 – Jancovici – (youtube.com)

 

Nous vivons une époque où les signaux d’alerte écologique se multiplient. Si certains ne perçoivent pas encore la gravité de la situation, d’autres, comme Jean-Marc Jancovici, nous rappellent régulièrement à l’ordre. Lors de son cours aux Mines de Paris en 2019, il a exposé la question de la comptabilité carbone, un domaine crucial mais souvent méconnu, essentiel pour comprendre notre impact sur l’environnement et envisager un avenir durable.

 

La planète en tant que ressource inestimable

Pour bien saisir le problème, il faut d’abord comprendre la valeur véritable de notre planète. Jancovici nous plonge dans une métaphore vertigineuse : il compare les ressources terrestres aux infrastructures que l’humanité recrée dans l’espace. En prenant pour exemple la Station spatiale internationale, il estime qu’il faut 15 milliards de dollars par personne pour reproduire les conditions que la Terre offre gratuitement à ses habitants : une atmosphère respirable, une température vivable, et un cycle de l’eau fonctionnel.

 

Cette comparaison, en apparence anodine, soulève une question fondamentale : combien vaut la Terre si, pour quelques personnes dans l’espace, il faut tant d’argent pour assurer les conditions minimales de survie ? Cette réflexion pousse à reconsidérer la manière dont nous traitons nos ressources naturelles. La consommation effrénée de matières premières non renouvelables, de pétrole ou de minerais, est un acte de destruction inconsciente et incontrôlée de ce capital que nous devrions, au contraire, préserver.

 

Un indicateur économique obsolète face aux enjeux climatiques

L’argent, selon Jancovici, est un indicateur central mais inadéquat. Les prix de marché, qui dictent toutes nos décisions économiques, ignorent les limites physiques de notre planète. Il rappelle avec ironie que le conflit d’objectifs est palpable : d’un côté, une économie qui fonctionne en maximisant les profits, de l’autre, une réalité énergétique et climatique qui impose des limites claires​.

 

Or, le PIB, principal indicateur de la performance économique, ne mesure que le flux annuel de transformation des ressources naturelles en biens de consommation. Il omet de prendre en compte la dégradation du capital naturel, qu’il s’agisse de l’épuisement des stocks de pétrole ou de la destruction des écosystèmes. Ce mode de comptabilité, bien que nécessaire pour suivre l’activité économique, cache les signaux faibles qui pourraient nous alerter de la gravité de notre situation écologique.

 

Comptabilité carbone : un outil indispensable

La comptabilité carbone propose un cadre différent. Il ne s’agit plus simplement de mesurer des flux financiers, mais de comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre (GES) émises lors de nos activités économiques. Elle repose sur une unité physique : la masse de carbone émise, que ce soit sous forme de dioxyde de carbone (CO2), de méthane (CH4) ou de tout autre GES.

 

Un point crucial soulevé par Jancovici est que la comptabilité carbone ne se limite pas à un territoire. Contrairement aux émissions locales de dioxyde de soufre, responsables des pluies acides, le CO2 a un effet global. Où que l’on émette du CO2, son impact sur le climat se fera ressentir partout, car l’atmosphère brasse les molécules de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire en un ou deux ans.

 

Entre complexité et nécessité d’une action globale

Une difficulté majeure de la comptabilité carbone est qu’elle met en lumière la dissociation entre les actions locales et leurs impacts globaux. Même si un pays comme la France réduit ses émissions, l’effet global restera faible tant que des pays comme la Chine ou les États-Unis ne prennent pas des mesures similaires. Cette asymétrie rend la lutte contre le changement climatique plus complexe, mais souligne d’autant plus l’importance d’une approche concertée.

 

De plus, Jancovici critique la tendance actuelle à sous-évaluer la responsabilité des entreprises et des industries. Pendant longtemps, les entreprises étaient seulement tenues de déclarer leurs émissions directes (issues de leurs propres activités). Cela excluait un nombre significatif d’émissions indirectes, notamment celles des produits qu’elles distribuent ou des déplacements de leurs clients.

 

Quelle comptabilité pour demain ?

Face à ces défis, la comptabilité carbone doit devenir un outil central dans nos prises de décisions économiques. Jancovici propose des pistes pour adapter nos pratiques. Il appelle à inclure dans la formation des prix non seulement les coûts humains, mais aussi les impacts écologiques. Cela pourrait se traduire par la mise en place d’une « dotation aux amortissements » pour les ressources naturelles, à l’instar de ce qui est fait pour les immobilisations dans la comptabilité classique​.

 

De même, il suggère d’établir des « provisions pour risques » pour anticiper les conséquences différées des émissions de GES, comme les canicules à venir dues aux émissions passées. Ces mécanismes comptables pourraient enfin refléter la réalité physique de notre monde et non plus uniquement des conventions monétaires arbitraires​.

 

Vers une nouvelle ère économique ?

Alors, que faire face à ces constats ? Il est évident que la comptabilité carbone seule ne peut suffire. Toutefois, elle représente un outil essentiel pour ajuster nos choix économiques et politiques. Si nous voulons éviter l’effondrement de nos systèmes, il est impératif de revoir nos indicateurs de succès et de prospérité.

 

Dans cette quête d’un avenir durable, l’électricité photovoltaïque, le biogaz ou encore la chaleur renouvelable jouent un rôle, mais ils ne sont que des éléments d’une solution plus vaste. Ce que prône Jancovici, ce n’est pas une simple transition énergétique, mais une révolution dans notre manière de penser et d’agir. Nous sommes à un carrefour, et il est grand temps de choisir la voie de la responsabilité collective.