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L’énergie, au cœur de notre civilisation : Comprendre pour mieux décider
source : 1 – L’énergie – Cours des Mines 2019 – Jancovici – (youtube.com)
Dans un monde où chaque geste du quotidien, de la plus simple action à la plus complexe opération industrielle, repose sur une forme d’énergie, il est crucial d’interroger notre rapport à cette ressource. Pourtant, derrière cet usage massif se cache une méconnaissance généralisée de la réalité physique de l’énergie. Nous la consommons, certes, mais combien d’entre nous se sont véritablement arrêtés pour comprendre ce qu’est réellement l’énergie ? Cette question, essentielle et souvent ignorée, est au cœur des enseignements de Jean-Marc Jancovici dans son cours dispensé aux Mines de Paris, dont nous allons extraire et analyser les éléments clés.
L’énergie est partout, mais elle est surtout invisible. Invisible dans nos vies où elle semble abondante, invisible dans les décisions politiques où elle n’est qu’un chiffre, invisible dans les débats publics où elle est souvent réduite à des slogans. Pourtant, comprendre ce qu’est réellement l’énergie et comment elle façonne nos sociétés est une étape indispensable pour prendre les décisions justes dans un avenir incertain. Dans cet article, nous allons plonger dans une analyse critique et détaillée des enjeux liés à l’énergie, inspirée par le document de Jancovici.
Énergie : Plus qu’une question de coût, une question de transformation
En règle générale, lorsque nous pensons à l’énergie, notre premier réflexe est d’imaginer une facture d’électricité ou de gaz. C’est souvent la seule forme sous laquelle nous interagissons avec l’énergie au quotidien. Mais si nous réduisons l’énergie à un coût monétaire, nous passons à côté de son rôle fondamental. Comme l’explique Jancovici, l’énergie est avant tout une grandeur physique qui quantifie une transformation dans un système. Elle est présente dans chaque modification de température, de position, de vitesse ou de composition chimique (p.13). Ainsi, plus nos sociétés se complexifient, plus elles demandent des transformations importantes, et donc plus elles consomment d’énergie.
Prenons un exemple concret : celui de l’habillement. Enfiler une culotte, aussi anodin que cela puisse paraître, est en réalité un processus extrêmement énergivore. Que le textile soit du coton ou synthétique, des centaines de machines ont été impliquées dans la culture, la transformation, la fabrication et le transport de ce vêtement (p.15). Ce simple geste cache une consommation d’énergie phénoménale, pourtant invisible dans notre quotidien.
Le piège des illusions sur les énergies propres
L’idée que certaines formes d’énergie, comme les énergies renouvelables, pourraient être « propres » est une simplification dangereuse. Dans son analyse, Jancovici souligne que « toute énergie est sale » dès lors qu’elle est exploitée à grande échelle (p.17). Les énergies renouvelables, bien qu’elles aient un impact environnemental plus faible que les combustibles fossiles, ne sont pas sans inconvénients. La production d’une éolienne, par exemple, nécessite des matériaux rares, des processus de fabrication gourmands en énergie, ainsi qu’une infrastructure de transport et de stockage coûteuse.
En d’autres termes, choisir une forme d’énergie, ce n’est pas éliminer ses inconvénients, mais accepter un certain type de compromis. C’est là un point souvent négligé dans les discours publics, qui tendent à présenter certaines sources d’énergie comme des solutions miracles. Or, comme l’affirme Jancovici, « la physique sera toujours plus forte que les slogans » (p.18). Cette phrase, d’une ironie mordante, rappelle qu’aucune solution énergétique ne peut s’affranchir des lois de la thermodynamique.
Notre société, esclave de l’énergie
Une autre idée forte qui traverse le document est la manière dont l’énergie structure toute notre société. Chaque être humain moderne, qu’il en soit conscient ou non, est « assisté » par des milliers d’esclaves énergétiques. Jancovici parle d’environ 200 esclaves énergétiques par personne dans le monde, et près de 600 en France (p.19). Que faisons-nous avec ces esclaves ? Nous déplaçons des objets, nous transformons des matières premières, nous faisons fonctionner des systèmes de communication, bref, nous maintenons tout le confort moderne sur lequel repose notre vie quotidienne.
Mais à quel prix ? L’énergie est à la fois abondante et rare. Abondante, car les ressources fossiles nous ont permis de faire croître notre productivité à un rythme jamais vu dans l’histoire de l’humanité. Rare, car ces ressources sont limitées, et leur exploitation engendre des conséquences environnementales majeures. Ainsi, cette dépendance à l’énergie est à double tranchant : elle nous donne du pouvoir sur notre environnement, mais elle nous rend également vulnérables face à une éventuelle pénurie ou un choc énergétique.
La transition énergétique : Une illusion de facilité ?
Il est tentant de croire que nous pourrons, d’ici quelques décennies, remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables et résoudre ainsi nos problèmes climatiques. Cependant, comme le souligne Jancovici, cette transition est loin d’être aussi simple. Le pétrole, bien que responsable de la majorité des émissions de CO2, est incroyablement efficace en termes de densité énergétique (p.17-18). Pour obtenir la même quantité d’énergie à partir de sources renouvelables, il faudrait des infrastructures massives et coûteuses, ainsi qu’un recours accru à des technologies de stockage.
Cette réalité va bien au-delà d’un simple changement technologique : elle implique une transformation profonde de nos modes de vie et de notre rapport à la consommation d’énergie. Il ne s’agit pas simplement d’adopter des technologies plus « propres », mais de réduire notre demande énergétique globale, ce qui implique des choix sociétaux difficiles. Peut-on véritablement continuer à vivre dans un monde où chaque individu consomme l’équivalent de centaines d’esclaves énergétiques sans remettre en question nos habitudes de consommation ? La question est posée, mais la réponse est loin d’être évidente.
Vers un futur énergétique incertain
Alors, où cela nous mène-t-il ? Vers un avenir énergétique incertain, où chaque choix comportera son lot de conséquences. Il est facile de rêver d’un monde alimenté uniquement par des énergies renouvelables, mais cela implique de comprendre les compromis et les limites physiques auxquels nous faisons face. La transition énergétique, si elle est nécessaire pour répondre aux défis du changement climatique, ne se fera pas sans douleur ni sacrifice.
L’enjeu est donc de comprendre que l’énergie n’est pas simplement une question technique ou économique. Elle est au cœur de notre société, de notre mode de vie, de nos choix de civilisation. La transition vers un modèle plus durable passera par une remise en question de notre rapport à l’énergie et de notre manière de consommer le monde qui nous entoure. Ce ne sera ni simple, ni rapide, ni indolore. Mais c’est sans doute là le prix à payer pour construire un avenir plus soutenable.