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Comprendre2050 : méthanisation et sobriété, un duo indissociable
source(s) : Comprendre les scénarios de transition 2050
Le biogaz est souvent présenté comme un levier clé pour la transition énergétique. Produit par la méthanisation des déchets organiques, il permet de valoriser des résidus agricoles, des effluents d’élevage ou encore des biodéchets, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre tout en générant une énergie renouvelable. Mais dans quelle mesure cette filière peut-elle réellement contribuer à un mix énergétique plus durable ? Quels en sont les bénéfices, les limites et les incertitudes ?
Cet article s’appuie sur Comprendre2050.fr, une initiative collaborative entre The Shift Project, l’ADEME et l’association négaWatt, qui vise à rendre accessibles les scénarios de transition énergétique pour la France à l’horizon 2050. Ce site propose plus de 150 décryptages thématiques couvrant des sujets comme l’agriculture, les transports et l’industrie, en s’appuyant sur des analyses rigoureuses pour éclairer les débats publics.
La méthanisation, une opportunité à structurer intelligemment
L’attrait pour la méthanisation repose sur plusieurs avantages évidents. D’un point de vue énergétique, le biogaz peut être injecté dans le réseau de gaz naturel après épuration (biométhane) ou utilisé pour produire de l’électricité et de la chaleur en cogénération. En France, la production de biométhane a atteint 9,3 TWh en 2023, soit une augmentation de 18 % par rapport à l’année précédente. Un chiffre prometteur, mais qui reste modeste face aux 450 TWh de gaz naturel consommés annuellement.
Sur le plan environnemental, la méthanisation permet de réduire les émissions de méthane issues des déjections animales, tout en évitant la mise en décharge des biodéchets. Cependant, son efficacité dépend fortement des matières premières utilisées : un équilibre doit être trouvé entre la valorisation des déchets et l’éventuelle concurrence avec des cultures dédiées. En effet, le modèle allemand (exemple à ne pas suivre) basé sur le maïs alimentaire alimentaire pour méthanisation a montré ses limites, générant des tensions sur l’usage des terres agricoles et accentuant la pression sur la biodiversité.
Une ressource limitée par des contraintes physiques et territoriales
Si l’expansion du biogaz semble séduisante, elle doit être pensée dans un cadre réaliste. Selon l’ADEME, la production maximale de biométhane en France pourrait atteindre 90 TWh en 2050, sous réserve d’une collecte optimisée des déchets et d’une gestion rigoureuse des ressources agricoles et forestières. Cela couvrirait environ 20 % de la consommation actuelle de gaz – une contribution significative mais insuffisante pour remplacer totalement les énergies fossiles.
L’un des principaux défis réside dans la disponibilité des intrants. Pour que la méthanisation soit réellement vertueuse, elle doit s’appuyer prioritairement sur des résidus et effluents agricoles (projet tinerzh : biogaz), et non sur des cultures énergétiques dédiées, qui entreraient en compétition avec l’alimentation. Par ailleurs, la logistique joue un rôle clé : transporter des tonnes de matières organiques sur de longues distances serait un non-sens écologique. D’où l’importance de développer des unités à taille locale, adaptées aux gisements disponibles sur leur territoire.
Les externalités environnementales : entre bénéfices et vigilance
Si la méthanisation constitue une opportunité pour réduire les émissions de CO₂ et valoriser les déchets organiques, elle doit être envisagée avec une approche rigoureuse et maîtrisée. Loin d’être une solution universelle, elle s’intègre dans un cadre plus large de transition énergétique, nécessitant une gestion fine de ses impacts pour maximiser ses bénéfices.
Une réduction effective des émissions de GES
La production de biogaz permet d’éviter le rejet direct de méthane dans l’atmosphère, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO₂ sur un horizon de 100 ans. En captant ces émissions issues des effluents d’élevage et des biodéchets, la méthanisation joue un rôle clé dans l’atténuation du changement climatique.
Des points de vigilance à maîtriser
- Fuites de méthane : Bien que les unités de méthanisation soient conçues pour optimiser la récupération du biogaz, des pertes peuvent survenir si l’étanchéité des installations n’est pas optimale. Une surveillance accrue et des technologies de contrôle permettent cependant de limiter ces émissions à un niveau très faible, souvent inférieur à 2 % des volumes produits.
- Épandage du digestat : Ce résidu de la méthanisation est un fertilisant naturel riche en nutriments, pouvant remplacer les engrais chimiques. Toutefois, son épandage doit être bien encadré pour éviter un excès d’azote et une pollution des sols et des nappes phréatiques. Des pratiques agricoles adaptées, comme le pilotage des doses d’épandage et l’association avec des cultures à forte absorption azotée, permettent d’en tirer pleinement parti sans impacts négatifs.
- Empreinte foncière et choix des cultures : Contrairement à certains pays ayant privilégié des cultures dédiées (comme le maïs en Allemagne), la méthanisation en France s’oriente vers un modèle plus durable basé sur les résidus agricoles, les effluents d’élevage et les Cultures Intermédiaires à Vocation Énergétique (CIVE). Ces dernières, implantées entre deux cycles de culture alimentaire, permettent d’éviter la concurrence avec la production alimentaire tout en préservant la structure des sols et leur capacité de captation de carbone.
Une énergie renouvelable qui répond toujours présent
L’un des atouts majeurs du biogaz réside dans sa capacité à produire de l’énergie à la demande, un privilège rare parmi les sources renouvelables. Contrairement au solaire, tributaire du cycle jour-nuit, ou à l’éolien, soumis aux caprices du vent, le biogaz est pilotable : il produit de l’électricité et de la chaleur lorsque c’est nécessaire, sans dépendre des aléas météorologiques. Cette flexibilité en fait une pièce maîtresse du mix énergétique, garantissant une production constante lorsque les autres renouvelables restent muettes.
Une approche complémentaire et intégrée
La méthanisation ne prétend pas se substituer aux autres solutions énergétiques, mais elle s’inscrit comme un maillon stratégique dans un modèle énergétique décarboné. En complément d’une sobriété énergétique accrue et de l’électrification des usages, elle offre une solution circulaire, locale et résiliente. Son potentiel dépendra de notre capacité à la déployer intelligemment, en tenant compte des ressources disponibles et des spécificités territoriale.
Le biogaz : une solution locale qui nécessite un cadre politique stable
L’essor de la méthanisation repose sur des mécanismes de soutien public, notamment des tarifs d’achat garantis pour le biométhane injecté. Cependant, les évolutions réglementaires récentes ont conduit à une baisse de ces tarifs, rendant certains projets moins rentables.
La question du cadre réglementaire et économique est cruciale : sans visibilité à long terme, les agriculteurs et industriels peinent à investir. Or, stabiliser cette filière permettrait de sécuriser des revenus pour les exploitants agricoles, tout en renforçant l’indépendance énergétique des territoires.
L’Allemagne, souvent citée aujourd’hui en contre-exemple, a mis en place des incitations fortes, mais avec des dérives à la clé : une méthanisation trop subventionnée a conduit à une augmentation massive des surfaces cultivées (sans rotation ou raisonnement) en maïs au détriment de la biodiversité. Un écueil évité en France, où la priorité est donnée aux modèles intégrés aux exploitations agricoles existantes.
Vers une méthanisation raisonnée et territorialisée
La méthanisation a sa place dans la transition énergétique, mais son déploiement doit être ciblé, structuré et encadré pour maximiser ses bénéfices tout en limitant ses impacts. Plutôt que de chercher à industrialiser massivement la production de biogaz, l’enjeu est d’optimiser les flux locaux de déchets organiques, en développant des unités à taille humaine, intégrées aux exploitations et aux territoires.
Cette approche permettrait de réduire la dépendance aux énergies fossiles, tout en renforçant la résilience des systèmes agricoles. Mais comme toujours, la solution miracle n’existe pas : le biogaz ne remplacera pas à lui seul notre consommation actuelle d’énergie. Il s’inscrit dans un mécanisme plus large, où sobriété, efficacité énergétique et diversification des sources renouvelables sont incontournables.