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Les écosystèmes oubliés dans la lutte contre le dérèglement climatique
source : Le changement d’usage des sols (carbone4.com)
Le changement d’usage des sols est trop souvent résumé à la seule déforestation. Cette approche réductrice masque la complexité et l’étendue des destructions des écosystèmes à travers le monde. Les chiffres révélés dans cette analyse renforcent la nécessité d’étendre notre compréhension de la crise climatique à l’ensemble des écosystèmes naturels, des mangroves aux tourbières, en passant par les prairies.
Prenons un exemple frappant : les prairies, bien que largement moins médiatisées, stockent trois fois plus de carbone à l’échelle mondiale que les forêts tropicales, et pourtant, seulement 8 % de leur superficie bénéficie d’une protection environnementale. Ce chiffre est d’autant plus alarmant que ces écosystèmes, principalement répartis en Amérique du Nord et en Russie, sont en première ligne face à l’expansion de l’agriculture intensive, notamment celle du soja et du maïs. C’est un paradoxe troublant : alors que l’agriculture cherche à maximiser ses rendements, elle participe à la destruction d’écosystèmes essentiels à la régulation du climat.
L’impact n’est pas seulement local, il est global et souvent indirect. Par exemple, en France, la consommation de crevettes et d’huile de palme contribue à la destruction des mangroves en Indonésie, qui sont parmi les écosystèmes les plus riches en carbone avec 850 tonnes de carbone par hectare, soit presque trois fois plus que les prairies françaises. L’ampleur de cette destruction est stupéfiante : près de 790 000 hectares de mangroves ont disparu entre 1990 et 2020. Ces chiffres montrent clairement que la manière dont nous consommons influe directement sur la dégradation des écosystèmes les plus vitaux pour notre planète.
Le changement d’usage des sols n’est donc pas qu’un problème des pays en développement. Il est directement lié aux modes de consommation des pays industrialisés, particulièrement en Europe. Les importations européennes de produits comme l’huile de palme, le soja, ou le cacao contribuent à la destruction des écosystèmes tropicaux et subtropicaux. Entre 2005 et 2017, les importations européennes ont causé la déforestation de 3,5 millions d’hectares de forêts tropicales, soit près de 54 % des émissions annuelles de l’Union Européenne en 2021.
Il devient alors impératif de repenser nos politiques de production et de consommation. Une régulation stricte est nécessaire pour limiter l’importation de produits issus de terres converties au détriment des écosystèmes naturels. Pourtant, malgré les progrès réalisés, la majorité des initiatives se concentrent uniquement sur les forêts, alors que les prairies, tourbières, et mangroves, bien que souvent plus importantes en termes de stockage de carbone, restent largement ignorées.
L’impact des écosystèmes naturels ne se limite pas au carbone. Ces territoires sont des réservoirs de biodiversité. Leur destruction entraîne non seulement une perte irrémédiable de services écosystémiques mais aussi une libération massive de gaz à effet de serre. C’est un cercle vicieux : plus nous détruisons, plus nous libérons de carbone, contribuant ainsi au dérèglement climatique, ce qui affaiblit encore davantage ces écosystèmes déjà vulnérables.
Pour illustrer ce mécanisme d’auto-alimentation, l’Amazonie est un cas emblématique. Depuis 2015, cette forêt, autrefois puits de carbone, émet plus de gaz à effet de serre qu’elle n’en stocke. Le point de bascule semble avoir été atteint, un phénomène potentiellement irréversible si les déforestations massives et la dégradation de l’écosystème amazonien continuent à ce rythme effréné.
En conclusion, la lutte contre le changement d’usage des sols doit aller bien au-delà de la simple déforestation. Elle doit prendre en compte la globalité des écosystèmes menacés et inclure des stratégies globales qui englobent à la fois la réduction des importations de produits non-durables et l’encouragement de pratiques agricoles plus respectueuses des sols. Le changement d’usage des sols n’est pas seulement un problème des pays en développement ; c’est un problème qui nous concerne tous, et il est grand temps d’en prendre conscience.