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L’Avenir du captage et de la valorisation du CO₂ : Entre défis techniques et enjeux sociétaux
Le rapport de la CRE, publié en septembre 2024, aborde l’une des technologies les plus controversées et prometteuses pour la transition énergétique : le CCUS (Captage, Transport, Stockage et Valorisation du dioxyde de carbone). Ce processus est destiné à réduire les émissions industrielles en capturant le dioxyde de carbone avant qu’il ne s’échappe dans l’atmosphère. Mais alors que les ambitions climatiques s’élèvent, peut-on réellement miser sur cette technologie pour atteindre la neutralité carbone ? Le rapport met en lumière les atouts et les faiblesses de cette filière en pleine éclosion, tout en soulevant des questions incontournables sur son avenir en France et en Europe.
L’urgence de la décarbonation industrielle
Avec des objectifs clairs fixés par le Pacte Vert Européen, la neutralité carbone d’ici 2050 semble plus pressante que jamais. En France, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) prévoit une réduction de 35 % des émissions industrielles d’ici 2030 et de 81 % d’ici 2050. Ces ambitions incluent des secteurs « hard to abate » comme les cimenteries et les aciéries, pour lesquels la décarbonation semble être un défi insurmontable sans l’apport du CCUS. Ce dernier représente donc une réponse technique à un besoin pressant de réduire les émissions résiduelles des processus industriels là où les alternatives technologiques sont encore limitées. Cependant, comme le souligne le rapport de la CRE, cette solution n’est pas sans son lot de défis techniques et économiques, ce qui interroge sur sa réelle capacité à se déployer à grande échelle.
Une chaîne complexe aux maillons indispensables
Le CCUS repose sur une chaîne de valeur constituée de plusieurs étapes clefs : le captage, le transport, le stockage et, si possible, la valorisation du CO₂. Le captage, étape la plus coûteuse représentant plus des deux tiers du coût total du processus, nécessite des technologies encore en développement pour certaines industries. Par exemple, le coût de captage pour des industries lourdes telles que les cimenteries peut atteindre entre 70 et 150 euros par tonne de CO₂, selon le rapport. Ce montant est en constante fluctuation et pourrait être compétitif avec les prix actuels du marché du carbone européen, situés entre 80 et 100 euros par tonne, mais cela nécessite encore un soutien public substantiel pour être économiquement viable.
Quant au transport, souvent réalisé via des pipelines ou des bateaux, il dépend de la mise en place d’une infrastructure adaptée. La France, avec ses bassins géologiques encore sous-explorés, présente des capacités limitées pour le stockage terrestre du CO₂. De plus, la perspective d’exporter ce gaz vers des hubs européens, notamment en mer du Nord, se dessine comme une option réaliste. Cela soulève néanmoins des interrogations sur la dépendance vis-à-vis de partenaires européens pour la gestion de nos émissions.
Acceptabilité sociale : un frein à surmonter
Un autre enjeu de taille pour le développement du CCUS est son acceptabilité sociale. Le stockage du CO₂, notamment dans des formations géologiques terrestres ou maritimes, suscite des craintes légitimes parmi les populations locales, surtout en raison des incertitudes autour de la pérennité du stockage et des risques de fuites. Pour surmonter ces réticences, la CRE recommande un dialogue ouvert et transparent avec les acteurs locaux, afin de sensibiliser les citoyens aux enjeux climatiques et économiques du CCUS. Le défi ici est de faire accepter une technologie perçue comme risquée, tout en montrant ses bénéfices à long terme pour la réindustrialisation et la décarbonation.
Le CO₂ issu de la méthanisation : une piste à explorer
L’un des aspects souvent négligés dans les débats sur le CCUS est la question du CO₂ issu de la méthanisation. Dans les processus de production de biogaz, ce gaz est libéré en grande quantité, mais il présente l’avantage d’être particulièrement pur et donc plus facile à capter. À titre d’exemple, le rapport de la CRE souligne que le coût de captage de ce CO₂, souvent inférieur à 10 €/tCO₂, est bien en deçà de celui observé pour d’autres industries. Cette valorisation potentielle offre donc une opportunité unique de combiner économie circulaire et lutte contre le changement climatique, en réinjectant le CO₂ dans des processus industriels ou en le stockant durablement.
Vers une économie du CO₂ ?
Alors que les coûts de captage, de transport et de stockage devraient diminuer avec le temps, la valorisation du CO₂ capté apparaît comme une voie prometteuse. Que ce soit pour produire des carburants de synthèse ou pour être utilisé dans l’industrie chimique, les applications du CO₂ capté ne manquent pas. Néanmoins, il convient de rester prudent : le marché du CO₂ reste embryonnaire et dépend largement de la mise en place de régulations adaptées. La question demeure : pouvons-nous transformer ce déchet polluant en une ressource économique clé pour l’avenir ?
Une réflexion écologique sans détours
À l’heure où nous mettons en œuvre des technologies pour capter ce que nous avons tant œuvré à relâcher, il semble que l’avenir de notre planète repose en partie sur notre capacité à dompter le CO₂. Le CCUS est-il l’arme secrète de la transition énergétique, ou une simple rustine technologique pour gagner du temps ? Alors que les gouvernements se précipitent pour atteindre leurs objectifs climatiques, nous ne pouvons qu’espérer que cette course contre la montre trouve ses réponses, sans trop d’effets secondaires imprévus.