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Publications :
Agriculteurs français à la croisée des défis : entre besoins alimentaires et transition énergétique
source 1 : Afterres2050 – Le scénario en 3 Actes – (solagro.org)
source 2 : Strategic Dialogue on the Future of EU Agriculture (europa.eu)
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En cette ère de bouleversements climatiques, de transitions énergétiques et de mutations agricoles, les agriculteurs français se retrouvent à la croisée des chemins, confrontés à des défis qu’ils n’ont jamais imaginés. Au cœur de ces enjeux, le projet Afterres2050 dessine un avenir de la terre et de la biomasse, un projet où les agriculteurs doivent jouer un rôle central. Cependant, loin d’être un simple plan pour l’avenir, il révèle des tensions profondes et des contradictions qui définissent les choix auxquels nos agriculteurs doivent faire face. D’un côté, des besoins alimentaires grandissants ; de l’autre, des engagements climatiques de plus en plus stricts. Entre ces deux extrêmes, une étroite voie à tracer, un futur incertain.
Les terres agricoles : une ressource sous pression
Le projet Afterres2050, tel qu’exposé dans les trois actes de la présentation, propose un scénario prospectif pour l’utilisation des terres en France, articulé autour de six axes majeurs : alimentation humaine, alimentation animale, foresterie, biomasse pour l’énergie, matériaux biosourcés, et biodiversité. Cette ambition de gérer les terres de manière durable doit cependant faire face à une réalité inquiétante : la France perd chaque année environ 65 000 hectares de terres agricoles. De surcroît, une part importante de ces terres est utilisée pour l’élevage, ce qui soulève des questions cruciales. Environ 70 % des surfaces agricoles en France sont dédiées à l’élevage, un chiffre qui montre à quel point notre modèle alimentaire, basé en grande partie sur des produits d’origine animale, exerce une pression sur nos sols.
Pour répondre à cette situation, Afterres2050 propose de réduire la consommation de viande et d’augmenter celle des protéines végétales. Pourtant, cette transition vers des régimes alimentaires plus équilibrés n’est pas simple. L’agriculture française est historiquement liée à l’élevage. Les agriculteurs qui se tournent vers des pratiques plus durables doivent souvent composer avec des systèmes agricoles enracinés dans des habitudes de production difficiles à changer.
Des agriculteurs pris en tenaille : les paradoxes révélés par le rapport stratégique
Le Strategic Dialogue Report 2024 apporte une autre perspective à ce tableau complexe. Ce rapport met en lumière un paradoxe fondamental : alors que les agriculteurs sont de plus en plus encouragés à adopter des pratiques durables pour répondre aux attentes sociétales et environnementales, ils sont souvent laissés pour compte dans les mécanismes de soutien financier et institutionnel. Les agriculteurs doivent non seulement faire face à des règles strictes sur l’utilisation des pesticides et des engrais, mais aussi à des contraintes économiques croissantes. Le rapport révèle que de nombreux exploitants agricoles sont pris dans un dilemme. D’un côté, les exigences réglementaires de réduction des gaz à effet de serre et de préservation de la biodiversité ; de l’autre, la nécessité économique de maintenir des rendements suffisants pour survivre.
Les enjeux sont ici d’une grande ampleur. L’agriculture française se trouve à la fois confrontée à la pression des consommateurs, qui exigent des produits biologiques et locaux, et à celle des institutions, qui imposent des objectifs de réduction des émissions de GES. Or, le rapport souligne un fait essentiel : cette transition ne peut réussir sans un soutien plus conséquent. Les promesses de transformation durable risquent de rester lettre morte si elles ne sont pas accompagnées de moyens concrets pour aider les agriculteurs à surmonter les obstacles financiers et logistiques.
Une transition à marche forcée : agriculture et énergie renouvelable
En parallèle, le rôle de la biomasse dans la production d’énergie renouvelable est de plus en plus central dans le cadre des objectifs climatiques. La France, qui vise à doubler la production de bioénergie d’ici 2050, compte en grande partie sur la valorisation des résidus agricoles et forestiers. Les agriculteurs se voient ainsi proposer un rôle clé dans cette transformation énergétique, en exploitant les co-produits de leurs activités pour la production de biogaz ou d’électricité. Mais là encore, cette vision optimiste masque des défis considérables. La conversion des exploitations pour produire de l’énergie tout en maintenant des rendements agricoles suffisants demande des investissements massifs et des réajustements techniques complexes.
Le dilemme est donc clair : comment répondre aux besoins énergétiques croissants tout en préservant la capacité des terres à nourrir une population grandissante ? La réponse n’est pas simple et nécessite un arbitrage constant entre les priorités alimentaires et énergétiques.
Des voies de sortie ?
La question demeure : comment permettre aux agriculteurs de sortir de cette situation de « tenaille » ? Le projet Afterres2050 propose une série de leviers à activer : diversification des cultures, développement de l’agriculture biologique, réduction des intrants chimiques. Mais sans un soutien institutionnel fort et une révision en profondeur des systèmes de subventions agricoles, ces recommandations risquent de rester de vains espoirs. Le rapport stratégique plaide pour une refonte des mécanismes de soutien aux agriculteurs afin de les aider à relever ces défis.
Au final, l’agriculture française est à un tournant historique. Les choix qui seront faits dans les prochaines décennies détermineront non seulement l’avenir des campagnes, mais aussi celui de la transition énergétique et alimentaire de notre pays. Reste à savoir si les agriculteurs auront les moyens de jouer pleinement leur rôle dans cette transformation, ou si, faute de soutien suffisant, ils continueront à être les premières victimes d’un système en pleine mutation.
Malgré les promesses qu’offrent les énergies renouvelables, cette vaste entreprise de transformation laisse un goût amer : tout semble encore reposer sur les épaules d’une profession déjà accablée par des contraintes croissantes et autres injonctions contradictoires. L’agriculteur français, tel un Sisyphe moderne, se voit contraint de pousser un fardeau de règles et d’objectifs difficiles à atteindre. Pourtant, un nouvel espoir émerge. Grâce aux contrats à long terme proposés par le modèle énergétique, la diversification agricole devient tenable et offre enfin une visibilité économique. Ce cadre permet de dessiner de nouveaux horizons pour assurer une agriculture autrement durable, là où le modèle agricole traditionnel laissait l’avenir dans l’incertitude.