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2024_10_Rapport_CRE_2024

L’évolution des marchés énergétiques : vers une nouvelle ère de régulation ?

source : Rapport annuel de la Commission de régulation de l’énergie à la Commission européenne | CRE

 

L’année 2023 a marqué un tournant pour l’énergie en France et en Europe, avec une transition énergétique influencée par des bouleversements géopolitiques, des changements structurels et une tension accrue sur les infrastructures énergétiques. Le rapport annuel de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) présente une analyse exhaustive des développements sur les marchés de l’électricité et du gaz naturel, mettant en lumière les défis auxquels le secteur est confronté.

 

Une crise qui rebat les cartes de l’énergie

Avec la crise en Ukraine en 2022, la dépendance de l’Europe à l’énergie importée, notamment au gaz naturel, est apparue dans toute son ampleur. La France, bien qu’ayant renforcé sa production interne, a dû compter sur les interconnexions transfrontalières pour stabiliser l’approvisionnement en électricité. En 2023, les flux électriques entre la France et ses voisins européens ont représenté un volume total de 66,7 TWh​. Ce chiffre montre la montée en puissance de ces interconnexions, notamment avec l’Allemagne et l’Espagne, essentielles pour garantir une certaine stabilité des prix sur les marchés.

 

Cependant, malgré ces interconnexions, la volatilité des prix de l’électricité sur le marché de gros est restée marquée en 2023, avec une moyenne de 144 €/MWh sur le marché day-ahead. Il est évident que la production d’énergie, notamment nucléaire, n’a pas atteint les niveaux espérés, avec une baisse de 23 % en 2023, principalement en raison de la maintenance prolongée de certains réacteurs.

 

L’ombre des investissements colossaux

Les investissements prévus pour moderniser les infrastructures sont massifs. La CRE estime à plus de 100 milliards d’euros les investissements nécessaires sur les dix prochaines années pour moderniser les réseaux de transport et de distribution​. RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, envisage d’allouer à lui seul 33 milliards d’euros pour l’extension et la modernisation des lignes à haute tension d’ici 2035. Ce montant colossal doit permettre de préparer le réseau à une augmentation de la production d’énergies renouvelables, notamment photovoltaïque et éolienne, tout en améliorant les capacités de stockage d’énergie.

 

En parallèle, les acteurs de l’industrie doivent également investir dans de nouvelles capacités de stockage de gaz naturel. En 2023, la France disposait d’une capacité de stockage de gaz de 130 TWh, soit environ un tiers de sa consommation annuelle. Cette capacité, bien que relativement stable, doit être renforcée pour répondre à des demandes exceptionnelles, notamment en hiver, où la consommation journalière peut atteindre des pics de 2,8 TWh​.

 

La qualité du service électrique : Un paradoxe sous tension

Si les infrastructures évoluent, la qualité de l’électricité distribuée reste un enjeu critique, en particulier pour les consommateurs industriels. Les coupures d’électricité en 2023 ont concerné près de 1,4 million de clients à travers la France, avec une durée moyenne de coupure de 80 minutes par client, en hausse par rapport aux 73 minutes enregistrées en 2022​. Ce chiffre est symptomatique des tensions qui pèsent sur les réseaux de distribution, malgré les efforts pour améliorer la résilience.

 

Les mécanismes d’indemnisation, bien que présents, peinent parfois à couvrir les pertes engendrées par ces coupures, notamment pour les entreprises industrielles. Enedis a versé un total de 167 millions d’euros en indemnités aux clients résidentiels en 2023, suite aux coupures prolongées. Ce montant, bien que significatif, interroge sur la capacité des gestionnaires à anticiper et à prévenir ce type de perturbations.

 

La transparence dans les marchés de gros : Un modèle à réinventer ?

Le marché de gros de l’électricité en France a vu des volumes échangés record en 2023, avec 520 TWh de transactions, dont 66,7 TWh aux frontières​. Cependant, cette dynamique cache des failles dans la régulation des échanges transfrontaliers. En 2023, plusieurs sanctions ont été infligées à des acteurs du marché pour des manquements aux règles de transparence, notamment dans le cadre de la manipulation des prix sur les marchés de l’électricité et du gaz​.

 

Cette situation pose la question de la transparence des marchés et de la concentration des acteurs. Plus de 60 % des volumes échangés sur le marché de gros de l’électricité en France sont réalisés par une poignée d’acteurs majeurs, un phénomène qui pourrait à terme nuire à la concurrence et à la stabilité des prix.

 

Vers un avenir incertain

Le rapport de la CRE pour 2023-2024 montre que le secteur énergétique en France est à la croisée des chemins. L’équilibre entre la protection des consommateurs, la promotion des énergies renouvelables et la modernisation des infrastructures impose des arbitrages complexes. Si les investissements sont indispensables pour garantir la résilience du réseau et la transition énergétique, leur coût soulève des questions cruciales sur leur financement et l’impact sur les consommateurs.

 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 100 milliards d’euros d’investissements prévus dans les infrastructures, des capacités de stockage de gaz encore limitées et une production d’électricité renouvelable qui doit doubler d’ici 2030, la route vers un système énergétique décarboné et résilient est semée d’embûches. Une question demeure : les acteurs du secteur parviendront-ils à maintenir cet équilibre tout en évitant les dérives monopolistiques et en assurant un accès équitable à l’énergie pour tous ?

 

Le chemin vers une énergie durable et décarbonée est long, et si les chiffres impressionnants d’investissement et de développement montrent un engagement fort, ils cachent aussi des défis considérables. Les consommateurs, à la fois premiers bénéficiaires et premières victimes de ces évolutions, attendent des réponses concrètes. Les réseaux électriques, en constant besoin de modernisation, les enjeux de stockage encore non résolus, ainsi que la transparence des marchés de gros, sont autant de défis à surmonter pour que la transition énergétique ne soit pas simplement un slogan mais bien une réalité.

 

L’avenir de l’énergie en France repose sur un équilibre délicat entre régulation, innovation et transparence. Les années à venir diront si les choix faits aujourd’hui permettront à la France de répondre aux défis du changement climatique tout en garantissant une énergie accessible et fiable pour tous.