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L’héritage des énergies fossiles : un empire sous pression

source : 2 – Les énergies fossiles – Cours des Mines 2019 – Jancovici – YouTube

 

Dans le monde contemporain, les énergies fossiles jouent un rôle fondamental dans nos économies industrialisées. En effet, la majorité des machines qui nous accompagnent au quotidien – qu’il s’agisse des usines, des véhicules, ou encore du chauffage des bâtiments – sont alimentées par ces énergies dites fossiles, issues de siècles d’accumulation organique sous terre. Cet empire énergétique a permis à des milliards de personnes d’accéder à un niveau de vie jamais égalé, en transformant une nature autrefois réfractaire en un monde hyper-connecté et productif​.

 

Pour autant, les énergies fossiles sont aussi l’objet de vives critiques et de tensions croissantes. En France, par exemple, 98 % des transports dépendent du pétrole, plaçant le pays dans une situation de dépendance extrême vis-à-vis de cette ressource. Il ne faut pas sous-estimer l’impact monumental du pétrole dans la globalisation : sans pétrole, la mondialisation telle qu’on la connaît aujourd’hui n’aurait tout simplement pas été possible. Si les énergies fossiles ont permis de bâtir notre modernité, elles sont également responsables d’une grande partie des émissions de CO2, déclencheurs majeurs du changement climatique.

 

Quand les limites deviennent visibles

À travers l’histoire des énergies fossiles, l’optimisme de la croissance économique a souvent masqué une réalité plus inquiétante : celle de leur finitude. La formation du pétrole et du gaz, par exemple, découle d’un processus géologique complexe, prenant des millions d’années à s’opérer. Les ressources fossiles, bien que présentes en abondance relative, sont loin d’être infinies. Chaque baril de pétrole que nous extrayons aujourd’hui est un morceau de l’histoire ancienne, une énergie « gratuite », pour reprendre une ironie souvent mal comprise. Pourtant, cette « gratuité » a un coût caché : celui de l’épuisement progressif de ces ressources​.

 

Il est souvent facile de se perdre dans les chiffres, mais quelques données aident à cerner la situation : aujourd’hui, près de 80 % de l’énergie finale utilisée en France provient encore des énergies fossiles, tandis que le gaz et le pétrole continuent de dominer largement le paysage énergétique global. Des pays comme les États-Unis consomment à eux seuls environ un cinquième de la production mondiale de pétrole, alors qu’ils ne représentent qu’environ 5 % de la population mondiale. Cette disproportion souligne l’inégalité de l’accès aux ressources fossiles et renforce les tensions géopolitiques.

 

L’obsolescence programmée des fossiles ?

Avec l’essor des préoccupations climatiques et des politiques de décarbonation, il est évident que l’humanité s’engage dans une voie de transition. Pourtant, cette transition n’est pas sans difficulté, notamment parce que l’infrastructure mondiale est encore très dépendante des énergies fossiles. Paradoxalement, malgré les promesses technologiques, nous sommes loin d’un remplacement complet de ces énergies par des alternatives dites « renouvelables ». Cette dépendance tenace, inscrite dans le béton des raffineries et des pipelines, est une sorte d’obsolescence programmée qui tarde à s’activer​.

 

Les récentes découvertes sur le pétrole de schiste aux États-Unis, avec l’exploitation massive des gaz et pétrole issus de roches-mères (ce que l’on appelle « shale gas » et « tight oil »), ont repoussé quelque peu l’horizon de cette obsolescence. Mais ici encore, les limites physiques et environnementales de cette nouvelle ruée vers l’or noir se font rapidement sentir. L’ironie réside dans le fait que ces méthodes d’extraction, bien qu’innovantes, exigent des quantités phénoménales d’énergie et provoquent des dégâts écologiques considérables​.

 

Le piège de l’inertie : et après ?

Il est tentant de voir dans les énergies fossiles un vestige d’un monde en déclin, mais leur emprise reste, pour le moment, solide. La majorité des infrastructures industrielles, des transports, et même des systèmes de chauffage résidentiel repose encore sur ces énergies. Une transition trop rapide pourrait engendrer des effets secondaires imprévus, que ce soit dans l’emploi, la stabilité économique, ou l’approvisionnement énergétique​. Cela pose alors la question : sommes-nous vraiment prêts à tourner la page ?

 

Une autre question se profile : que faire des infrastructures fossiles une fois leur date d’expiration dépassée ? Abandonner des millions d’euros investis dans des raffineries, des pipelines, ou des plateformes pétrolières ne sera pas sans conséquences. De plus, la course aux énergies renouvelables, bien qu’encourageante, ne pourra probablement pas à elle seule suffire à compenser cette perte.

 

L’avenir au carrefour des décisions

Ainsi, l’avenir énergétique mondial se trouve à une croisée des chemins. Si certaines nations, poussées par des impératifs climatiques, ont commencé à réduire leur dépendance aux énergies fossiles, d’autres, comme la Chine ou encore les pays du Golfe, continuent d’investir massivement dans leur exploitation. Le défi consiste désormais à équilibrer la réduction nécessaire des émissions de CO2 tout en assurant un avenir énergétique stable.

 

Mais à quel prix ? La transition énergétique semble à portée de main, mais elle n’est pas sans complexité. Il est crucial que cette transition ne devienne pas un nouveau champ de bataille économique et politique, où les fossiles continueraient à dominer sous une autre forme, plus subtile mais tout aussi prégnante. D’une certaine manière, l’histoire du pétrole est aussi l’histoire d’une addiction collective, dont la cure semble toujours repoussée à demain​.